Éditions GOPE
2e édition illustrée, 224 pages, 13x19 cm, 18.85 €, ISBN 978-2-9535538-6-4





mercredi 7 juillet 2010

Entretien avec Étienne Rosse



Quand avez-vous commencé à écrire sur la Thaïlande et ses habitants ?
Je me suis établi en Thaïlande en 1990, j’avais alors dans l’idée d’écrire un scénario. Je m’étais trouvé un petit bungalow donnant sur la baie de Nai Harn ; une jeune femme est venue s’installer avec moi et j’ai passé mes journées assis sous le porche, buvant du café tout en regardant fixement ma machine à écrire. La nuit, j’avais des activités bien plus intéressantes. Je n’ai jamais fini mon scénario mais je me suis aperçu que j’étais capable d’écrire une petite histoire dans la matinée et que des journaux ou des magazines étaient prêts à payer l’équivalent d’une semaine de loyer pour cette histoire.

Pourquoi la Thaïlande et Phuket ?
J’avais prévu de faire un long séjour en Asie du Sud-Est et en Australie. En effet, j’avais travaillé dans l’industrie du film et de la télévision à New York pendant de nombreuses années sans prendre de vacances, alors j’avais décidé de passer un hiver entier à voyager pour décompresser. Je suis arrivé à Phuket la deuxième semaine de mon voyage ; je ne suis pas allé plus loin. À la fin des trois mois, j’ai décidé de ne pas retourner à New York. Si vous lisez Trois autres Thaïlande, vous comprendrez pourquoi.


Comment êtes-vous devenu un auteur publié ?
En 1990, Phuket Magazine venait de démarrer, ils recherchaient des pigistes et ils n’étaient pas trop regardants. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire des histoires, à raison d’une par mois. Phuket est le lieu de vacances de l’aristocratie et des gens influents de Bangkok alors que les classes moyennes vont à Pattaya. Phuket Magazine était distribué dans les hôtels, c’était le genre de revue que vous trouviez sur la table de nuit dans les suites des complexes hôteliers haut de gamme. Les gens de l’aristocratie thaïlandaise lurent donc mes histoires et c’est ainsi que je commençai à recevoir des coups de téléphone de Bangkok : le Bangkok Post, The Nation, Thailand Tater et Living in Thailand Magazine m’invitaient à écrire pour eux. Phuket est aussi le lieu de vacances d’éditeurs venant de toute l’Asie du Sud-Est et on m’appela aussi de Hong Kong, de Singapour, de Sydney, de Manille et de Tokyo. À cette époque, chaque petite compagnie aérienne locale éditait son propre magazine de bord et de nombreuses sociétés étaient prêtes à payer pour des encarts publicitaires, mais elles recherchaient désespérément du contenu rédactionnel pour étoffer leurs pages.
Je finis par gagner ma vie et réussis à subvenir aux besoins de mes enfants et de mon épouse - une femme très respectable d’une très bonne famille qui m’a ensuite rendu malheureux avant de me ruiner - en écrivant à plein temps. J’ai écrit des essais, des nouvelles, des comptes-rendus de test de restaurant et j’ai fait du journalisme pur et dur où j’ai révélé des scandales dont ceux de la corruption. J’écrivais à la demande et nous vivions très bien. Ce fut la seule période de ma vie où j’ai pu m’acheter une voiture neuve.

D’où vous est venue l’inspiration pour les histoires publiées dans Trois autres Thaïlande ?
Il me semble qu’à cette époque je ne pouvais pas mettre le nez dehors sans être inspiré. Phuket était comme le Casablanca du film avec Bogart : tout le monde venait là. Des célébrités, des maquereaux, des musiciens, des prostituées, des drogués, des trafiquants de drogue, des artistes, des ouvriers d’exploitations de gisements pétroliers, des pilotes de ligne, des pêcheurs au gros et des vendeurs de tondeuses à gazon. Ces gens restaient une semaine ou deux puis disparaissaient. Des personnes qui étaient restées dix ans disparaissaient aussi subitement et de manière toute aussi définitive. Trois de mes amis moururent également pendant le temps que j’ai passé à Phuket. Chaque histoire de Trois autres Thaïlande trouve son origine dans quelque chose que j’ai vu ou entendu dire. Par exemple, il y a ce jour où j’attendais quelqu’un au Phuket Yacht Club, dans la salle du restaurant. Il était de bonne heure et seulement deux autres personnes mangeaient, deux Japonaises. Je remarquai qu’il n’y avait qu’un seul serveur dans la salle et qu’il regardait pensivement la mer, il attendait manifestement que quelque chose se produise. J’ai à mon tour regardé la mer et j’ai vu ce qu’il attendait. Une fois rentré à la maison, j’ai écrit cette histoire intitulée Regarde la mer. Ce n’était pas plus compliqué que ça.

Dans quel environnement et de quelle manière avez-vous écrit ces histoires ?
Pendant les trois dernières années que j’ai passées à Phuket, j’étais le chargé des relations publiques du Boathouse, un hôtel chic à Kata Beach. J’ai écrit de nombreuses histoires dans mon bureau. Comme j’étais marié, avec deux enfants en bas âge et une employée de maison, il m’était beaucoup plus facile d’écrire dans le calme de mon bureau, la plage à quelques pas et le service d’étage qui m’amenait à intervalles réguliers du café et des parts de linzertorte. Mais j’ai aussi écrit des histoires dans d’autres lieux. J’avais l’habitude de trimballer une vieille machine à écrire coréenne et j’ai écrit plusieurs histoires au Cathay Hotel à Penang en Malaisie. La nef des fous a été écrite sur le pont d’un yacht près des îles Mergui. Quelques autres histoires comme Histoire d’O ou Le temps d’un regard ont été écrites sur des cartes postales, dans un bar. J’avais pour habitude de toujours avoir sur moi des cartes postales ; si vous prenez des notes sur un carnet, les gens présents dans les bars se méfient, mais personne ne prête attention à un étranger qui écrit une carte postale.

Pourquoi ces histoires sont-elles si courtes ?
Elles ont toutes été initialement publiées sous forme de chronique dans un journal. Il est très rare qu’un chroniqueur ait droit à plus de 1000 mots, c’est pourquoi la plupart de ces histoires contiennent dans leur version originale exactement 1000 mots.

Y avait-il des restrictions quant aux sujets que vous pouviez aborder ?
Quand je me suis marié, mon épouse m’a dit : « tu peux écrire sur tout ce que tu veux, sauf sur la monarchie, le clergé et ma mère. » Au fil des ans, j’ai essayé de suivre scrupuleusement cette règle. La Thaïlande a toujours été un état policier et même les années calmes il n’est pas rare que des journalistes soient expulsés de temps à autre. Mais comme mes histoires paraissaient dans la rubrique « humour » et aussi parce que je travaillais dans un hôtel dont le propriétaire fait partie de la famille royale, j’ai pu écrire sur un bon nombre de sujets qui auraient causé bien des problèmes à d’autres. J’ai écrit que quelqu’un essayait de vendre un bébé sur la plage de Patong ; je n’ai rien inventé, on a vraiment essayé de me vendre une petite Eurasienne de quatre mois. Je n’ai pas eu de problème avec la police contrairement à ce que ma femme avait prédit. Mais quand j’ai écrit que les promoteurs d’une certaine résidence avaient roulé leurs clients, j’ai reçu des coups de fils anonymes où on me menaçait et quelqu’un a déposé la carcasse d’un chien mort devant ma porte d’entrée.

Pouvez-nous nous parler de vos relations avec vos lecteurs ?
Comme The Nation était distribué dans les avions de la compagnie Thai Airways, j’ai reçu des lettres de Johannesburg, Paris, Londres et New York. Mais j’ai également reçu de très nombreuses lettres incendiaires de Bangkok. Certaines personnes pensaient que j’encourageais la prostitution et cela les rendaient furieux. D’autres pensaient que je critiquais les hommes qui ont recours aux services des prostituées et cela les rendaient furieux. Je n’ai jamais promu ou critiqué quoi que ce soit : je me suis toujours contenté de décrire les choses.

Pourquoi et comment avez-vous appris le thaï ?
J’ai appris le thaï pour la simple et bonne raison que je vivais en Thaïlande, je n’étais pas un touriste. J’avais des notes de téléphone à payer, une employée de maison à gérer, des courses à faire, un visa de résident permanent à obtenir et un boulot à me trouver pour subvenir à mes besoins. Comment est-ce possible de faire tout ceci si vous ne parlez pas la langue du pays ? Après avoir vécu environ deux ans sur place, j’ai suivi un cours intensif de thaï pendant six semaines à l’A.U.A de Chiang Mai. Mais le vocabulaire le plus utile pour la vie de tous les jours, je l’ai appris en donnant des cours d’anglais dans les hôtels de Phuket. C’était vraiment l’un des meilleurs moyens pour manger à l’œil dans de super restaurants. En donnant deux heures de cours par jour où j’apprenais à dire aux femmes de chambre « May I clean the room now ? », je gagnais suffisamment pour subvenir à mes besoins et j’avais droit en plus à deux repas gratuits. Pour chaque mot d’anglais que j’enseignais à mes étudiantes, je m’assurais qu’elles m’enseignent au moins deux mots de thaï.

Pourquoi êtes-vous parti de Thaïlande ?
Mon fils était âgé de trois ans, ma fille de un an. Avec ma femme nous avions discuté de ce qui serait le mieux pour eux, entre les éduquer en Thaïlande ou aux États-Unis. Nous étions tous les deux tombés d’accord, mon pays serait mieux. J’avais prévu d’attendre encore un an mais un jour je me suis disputé avec le directeur général de l’hôtel où j’étais employé et j’ai démissionné. C’était le meilleur job que je n’avais jamais eu, un job parfait et j’ai claqué la porte sur un coup de tête. Au lieu de me mettre à chercher un autre emploi que j’aurais gardé pendant un an, il m’avait semblé plus judicieux de rentrer aux États-Unis tout de suite. Et vraiment, je ne suis pas déçu du résultat. Il n’y a rien qui mérite d’écrire une ligne ici à Iowa City mais mes enfants grandissent sans souci. Nous avons de bonnes écoles, de bons hôpitaux et les rues sont sûres. Il n’y a pas de motos pétaradantes, ni de chiens errants sur la plage. Ni de prostituées droguées qui traînent autour du bureau de poste. Tout est propre, sans danger, sous contrôle et paisible. Mais je m’ennuie comme un rat mort. J’attends avec impatience le jour où je pourrai retourner vivre en Thaïlande !


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