Éditions GOPE
2e édition illustrée, 224 pages, 13x19 cm, 18.85 €, ISBN 978-2-9535538-6-4





mardi 23 mars 2010

Les nuits avec mon ennemi

Photographie d'Adrian Callan (Bangkok)



Il y avait seulement quelques clients la nuit dernière au Pension Grilparzer, la plupart d’entre eux essayant de faire durer une bière et deux cigarettes jusqu’à ce qu’il arrête de pleuvoir et qu’ils puissent rentrer à la maison. Ying, la barmaid obèse écoutait la radio et au fond de la salle Kevin jouait au billard tout seul. Kevin joue toujours au billard tout seul parce que personne n’aime Kevin.

Nit, la copine de Kevin, était assise au bout du bar, scrutant l’infini et tirant compulsivement des peaux du coin de ses ongles. Elle avait un verre d’eau en face d’elle, un verre donné par Ying et elle essayait de faire durer cette eau comme si c’était une bière et deux cigarettes. Personne n’a jamais vu Kevin payer un verre à Nit.

Kevin est d’âge moyen, de taille moyenne et de corpulence moyenne. En fait, son seul signe distinctif est un menton fuyant. À un moment donné dans le passé, une femme a brisé le cœur de Kevin, ce qui l’a rendu amer et mesquin. La douleur de Kevin est aussi déplacée au Pays du Sourire et aussi évidente que l’aurait été un grand sombrero doré sur sa tête. Il est le genre d’Occidental expatrié qui écrit des lettres aux journaux locaux pour dire à quel point les femmes farangs sont grosses et laides et à quel point sont belles, féminines et désirables les femmes asiatiques. Mais comme seule la plus désespérée des femmes de n’importe quelle race s’intéresserait à Kevin, vous pouvez imaginer que Nit n’est pas près d’embellir les couvertures des magazines de mode.

À suivre…

vendredi 19 mars 2010

Un petit tableau du royaume totalement dénué de complaisances et de clichés



« Le vrai nom de l'auteur est Steven Dana Rosse, son nom de plume Steve Rosse. Il est américain mais son père était un Ukrainien juif qui a fui les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. A son arrivée à New York, le père américanisa son nom. De mon côté, j'ai l'habitude de franciser les prénoms de mes amis anglo-saxons, il faut bien compenser les anglicismes que l'on subit. Donc, lors du choix d'un titre et lorsque Steve a proposé Etienne au lieu de Steve, j'ai tout de suite adopté l'idée... »

Voici les précisions apportées par David Magliocco, directeur des toutes nouvelles éditions Gope basées en Haute-Savoie et qu’il tient à bout de bras avec l’ambition de développer une spécialité sur l’Asie, notamment du Sud-Est. Il aura ainsi assuré lui-même la traduction de ce premier titre à son catalogue, puisque Trois autres Thaïlande s’avère être la version française de Thai vignettes – Phuket and beyond paru en 2005 aux éditions Bangkok Book House.

Etienne alias Steven Rosse a vécu de 1990 à 1997 à Phuket où il aura épousé une Thaïlandaise et fondé une famille. Dès son arrivée à Phuket, ses talents d’écrivain « épistolier » furent remarqués localement et lui assurèrent un poste de chroniqueur pour le quotidien The Nation. Comme il le précise dans un entretien accordé à son éditeur-traducteur français, « tout ce que Bangkok comptait alors d’important venait en vacances à Phuket, mais aussi des éditeurs de toute l’Asie du Sud-est…. C’est ainsi que mes courtes histoires publiées dans Phuket Magazine furent remarquées par un tas de gens... et que j’en vins à écrire pour le Bangkok Post et The Nation ».
Steven Rosse s’est donc approprié une toute petite part de la Thaïlande, mais il en a fait le tour de façon obsessionnelle, exhaustive. Il en a rapporté des tranches de vie d’expatriés et de Thaïlandais qui ne sont pas forcément d’un niveau égal - la brièveté de certaines nous laissent d’ailleurs sur notre faim - mais qui ont toutes le mérite d’être inspirées de faits réels, touchants, ironiques et souvent drôles… elles éclairent indéniablement l’histoire et l’évolution de ce petit bout de Thaïlande, de cette « excroissance » que les Thaïs considèrent parfois comme devenu étrangère à leur territoire national...

Au final, le tout compose un petit tableau du royaume totalement dénué de complaisances et de clichés, dont on conseille la lecture conjointement à celle d’un autre excellent recueil de nouvelles, Café lovely.

Olivier Jeandel, librairie Carnets d'Asie